Après un doctorat en mathématiques à Paris 6, j’ai intégré Finaref un peu par accident, mais ça a été ma plus grande chance : on m’y a inculqué une très forte culture projet et une très forte exigence managériale, et ce indépendamment du fait que j’étais une femme. C’était pourtant en 1999 ! Quand Finaref a été intégrée au Groupe CA, cela m’a offert de nouvelles perspectives et j’ai été amenée à me mobiliser sur des projets passionnants autour de « la data », jusqu’à créer le DataLab du Groupe CA, dont la vocation était de créer l’impulsion sur le Big Data et l’IA dans les entités. Une fois que cela a été fait, j’ai donc choisi de rejoindre LCL qui représente selon moi le meilleur laboratoire industriel de développement de l’IA au sein du Groupe : c’est l’un des réseaux de banque de détail, mais il est centralisé ce qui lui confère une taille critique pour mon métier.

Je suis rattachée au DGA fonctionnement (qui s’appelle directeur fonctionnement chez LCL), et je fais partie du Cercle des Dirigeants de l’entreprise : cela me permet de m’imprégner en permanence des enjeux stratégiques de l’entreprise et de proposer des projets d’IA utiles à mon entreprise. Mon profil très atypique (et plutôt perçu comme très technique) a parfois pris le dessus sur ma condition féminine, parfois « aggravé » les comportements autour de cette condition, amenant certaines personnes (hommes et femmes) à user de leur pouvoir pour me laisser de côté.

Cela arrivera encore, et c’est renforcé dans notre Groupe par un autre critère que le genre : traditionnellement, notre Groupe accompagne des profils « généralistes » vers des postes de dirigeants, mais peine à inclure dans ces accompagnements les profils jugés « experts », alors que de nombreux dirigeants en poste reconnaissent que ces profils experts doivent dorénavant aussi irriguer les strates managériales larges. C’est probablement un point qui va beaucoup évoluer à l’avenir et c’est important pour notre Groupe.

Quelle serait votre description du poste de Responsable Intelligence Artificielle?

Ce métier est tellement nouveau qu’on ne l’a pas encore défini de façon homogène sur la place. Chez LCL, il consiste à (d’abord créer puis) diriger une équipe dont la mission est de bâtir les cas d’usages IA pour l’ensemble des métiers de LCL. L’équipe est ainsi constituée d’experts de l’IA, i.e. des gens qui savent bâtir les algorithmes s’appliquant à toute nature de données de LCL, et permettant ainsi de mettre en place des services accompagnant les clients dans leur relation avec LCL et les collaborateurs dans l’exercice de leurs fonctions ou en tant que salariés. Une fois qu’un cas d’usage est opérationnel, nous en confions la maintenance à un métier (qu’il faut parfois faire émerger de l’organisation).

Ce métier n’est ni féminin ni masculin, mais il est terriblement humain de par sa transversalité. En revanche on constate que dans les grandes entreprises on peine à attirer des profils féminins sur ce métier, au contraire des petites entités comme les start-up : peut-être les femmes recherchent-elles plus une qualité de vie professionnelle que la garantie de bâtir une carrière ?

Quels sont les grands temps forts de votre métier sur l’année ?

Comme nous bâtissons l’IA pour LCL, nous n’avons pas de saisonnalité, le rythme est celui des projets que nous menons, et celui-ci est clairement induit par l’enthousiasme qui finit toujours pas amener nos clients internes à nous demander d’aller plus vite et plus fort. En face de cet enthousiasme, nos dirigeants prennent des décisions raisonnées d’allocation des moyens : le tout s’équilibre.

Les projets d’industrialisation de l’IA n’ayant pas vraiment de recul, nous sommes parfois contraints de naviguer « à vue », et c’est la nécessité de résoudre en permanence des problèmes complexes liés à l’IA qui nous amène à ne pas céder à l’enthousiasme et à nous imposer un équilibre sain entre vie pro et vie perso, quitte à exiger un peu de patience de la part de nos clients internes.

Comme nous bâtissons l'IA pour LCL, nous n'avons pas de saisonnalité, le rythme est celui des projets que nous menons, et celui-ci est clairement induit par l'enthousiasme qui finit toujours pas amener nos clients internes à nous demander d'aller plus vite et plus fort

Pouvez-vous nous décrire une journée type ?

Alors justement, j’ai beau chercher, je ne trouve pas de journée type ! Ou alors c’est celle qui consiste à se faire surprendre par les idées géniales de nos clients internes, et de les surprendre en retour en leur expliquant comment l’IA pourrait répondre à leur besoin (ou pas … mais c’est très rare), quelle implication ils devraient avoir alors dans un projet mené ensemble (et c’est là qu’on comprend bien qu’on ne fait pas d’IA sans les « sachants métier »), puis comment nous pourrions convaincre l’entreprise de dégager des moyens pour mener le projet adéquat.

Bref c’est beaucoup de pédagogie, beaucoup d’optimisme à diffuser, tout en restant réaliste, et une bonne capacité à voir simultanément à court et long terme.

 

Quel parcours faut-il avoir pour accéder à votre poste et quelles sont les possibilités d’évolutions ?

Ma réponse à cette question ne sera vraie que pendant qqs années : nous sommes en transition sur l’IA et ceux qui peuvent, raisonnablement et efficacement, tenir mon poste sont ceux qui combinent une forte expérience dans le domaine (banque assurance en l’occurrence), une trajectoire dans la data proche des problématiques informatiques (on parle souvent de CRM), et une très solide formation mathématiques.

Ce qui est important, c’est de pouvoir faire le lien entre les enjeux de l’entreprise (exprimés de façon macroscopique) et les solutions algorithmiques qui pourraient les servir, mais qui se doivent d’être réalistes en termes de coût et d’horizon. La gestion de projet la gestion budgétaire sont des plus ! La difficulté à ce stade c’est de savoir ce qu’on peut faire après un tel poste : aujourd’hui personne ne trouverait son intérêt à ce que j’ai envie de faire autre chose. Et on ne comprendrait pas que j’en ai envie : on dit souvent que c’est « le job le plus sexy », donc pourquoi en changer ?

Je pense que la solution se trouvera dans l’évolution de l’envergure de ce genre de postes, vers des fonctions data complètement centralisées (data « classique », IA, et gouvernance de la donnée).

"Le futur de ce poste: des fonctions data complètement centralisées"
  • Data
  • IA
  • Gouvernance de la donnée

Quels messages, souhaiteriez-vous transmettre aux personnes qui se projettent sur un poste similaire au vôtre ?

Curieusement, je suis plutôt encline à conseiller une très forte prudence : j’ai vu beaucoup de collègues prendre des postes similaires sans réunir les conditions de la réussite, soit qu’ils aient cédé au buzz autour de l’IA, soit que leur patron l’ait fait lui-même. Comme nous sommes peu nombreux à bien maîtriser les sous-jacents de l’IA (ce n’est pas ce qu’on trouve dans les articles de presse), il y a peu de personnes capables d’évaluer la validité d’une candidature à un tel poste.

Donc mon conseil c’est d’échanger avec les experts ayant un poste de responsable, et … de bien les écouter, avant de prendre un tel poste. Et croyez-moi, un très bon accueil vous sera fait : nous aimons les démarches sincères et nous voulons être plus nombreux sur ces métiers, mais, donc, nous voulons être légitimes…

 

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’entreprise en matière de mixité ?

Ça bouge ! Alors certes on a encore un très grand chemin à faire, mais l’envie est là, les réflexes se forment. Cela ira nécessairement beaucoup plus vite si on encourage les femmes et les hommes à changer d’entreprise au sein du Groupe CA (au sein duquel ces mobilités sont largement facilitées) : en effet l’arrivée dans un nouvel environnement permet une bien plus grande ouverture.

Et c’est quand on change d’environnement qu’on s’appuie plus sur les femmes et les hommes qui le composent, on fait alors fi de ses vieux préjugés, croyez-moi ! Dans le Groupe CA, la mobilité a fortement évolué récemment entre les entités, et on voit les mentalités commencer à se détendre dans le même temps.

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